Critiques ciné

Oleg : une tragédie intime et européenne

CRITIQUE / AVIS FILM – Avec Oleg, son deuxime long-mtrage, prsent Cannes, le ralisateur letton Juris Kursietis propose un regard unique sur le drame europen. Par son origine, son cadre et sa vise, le film est un beau document sur la perte de l’identit dans un espace dshumanis.

Prsent la Quinzaine des Ralisateurs du Festival de Cannes 2019, Oleg de Juris Kursietis se distingue de plusieurs manires. On pourrait croire que son sujet, l’identit europenne et sa composante migratoire, est vu et revu. C’est en effet une thmatique rcurrente du quotidien, dans son exprience politique, sociale et culturelle. Dans le cinma europen, l’immigration principalement traite est celle du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Dans Oleg, le ralisateur letton a choisi de montrer une autre ralit, celle d’une immigration issue des pays baltes, en l’occurence depuis la Lettonie.

Qui est Oleg ?

C’est la problmatique du film. Savoir qui est quelqu’un permet de savoir d’o il est, et peut-tre o il va. Oleg (Valentin Novopolskij) est le nom du jeune homme qui quitte la Lettonie pour la rgion de Bruxelles, o il sait pouvoir travailler en tant que garon boucher. Le film Oleg veut tre le portrait d’un homme, jeune europen qui a grandi dans l’re post-sovitique. Mais comment faire le portrait d’un homme qui n’existe pas ?

Il y a un point essentiel la comprhension du film : Oleg est un tranger dans son propre pays. Il fait partie des non-citoyens, c’est–dire des ex-citoyens sovitiques qui, faute d’ascendance lettone antrieure 1940, ne se sont pas vus accorder la citoyennet par la Lettonie aprs son retour l’indpendance en 1991.

Ce dfaut d’identit est central dans le film, puisqu’elle fait d’Oleg une espce de fantme, un corps exploitable, sans droits ni enracinement. Clandestin Bruxelles, Oleg est particulirement vulnrable. Oleg est un agneau, au sens figur par son innocence, et au sens biblique parce qu’il est sacrifi. Ds le dbut du film, par une voix off qui reviendra par moments, Oleg se dit conscient d’tre promis un sacrifice. A moins qu’il ne parvienne le fuir.

De la chronique raliste au geste religieux, en passant par le policier

Le motif religieux est ainsi trs prsent, explicite dans la mise en scne de l’introduction et de la fin du film. Entre ces deux moments, la camra suit Oleg, esclave d’un matre cruel et de ses journes qui le rapprochent inlassablement de l’endroit et du moment o il sera sacrifi.

Oleg est un agneau, et il est logiquement menac par un loup. Arriv en Belgique, suite un accident dans l’usine o il travaille, il se retrouve sans aucun emploi. Aid par Andrzej (Dawid Ogrodnik, formidable dans l’effroi qu’il fait natre), un sympathique chef de bande qui lui promet du travail et un toit, Oleg est d’abord soulag, presque heureux. Mais il se rend rapidement compte, et il est dj trop tard, qu’Andrzej est en ralit un criminel violent et impulsif.

Le film est d’un ralisme appuy, la camra porte au plus proche des corps et des visages. Il n’y a ainsi aucune distance, aucune ironie tragique pour le spectateur, qui vit en mme temps qu’Oleg la succession de situations de plus en plus critiques.

Dans une scne trs russie de dner, Andrezj fournit Oleg un faux passeport polonais, et dtruit son vrai passeport letton de non-citoyen. Tous rient. Oleg finit lui-mme par en sourire, mais il ressent que son identit disparat progressivement, que son nom n’a aucune importance, qu’il n’existera bientt plus du tout.

Oleg est innocent, voire d’une navet qu’on pourrait penser masochiste. Mais il n’en est rien, car le film fonctionne sur ce principe : plonger avec une camra colle Oleg dans un mcanisme infernal dont il est impossible de s’abstraire.

Dans Oleg, une Europe qui dvore

Les autorits belges sont conscientes de la situation irrgulire de tous ces travailleurs clandestins, forats anonymes, mais ferment les yeux. En effet, cette main d’oeuvre bas cot est une aubaine pour les entreprises d’Europe occidentale. Si les autorits ne chassent pas Oleg et ses camarades d’infortune, elles ne les aident pas non plus, accentuant leur invisibilit et les jetant dans les filets de groupes criminels.

L’unique personnage fminin Malgosia, qui apparat des moments cls, incarne cet abandon terrible leur absence de destin. Son sourire est doux et amer, elle a accept le fonctionnement du monde pour eux, une gnration perdue et invisible. Petite amie d’Andrezj, elle est assez absente pour incarner une figure virginale, pure et forte aux yeux d’Oleg, mais tout aussi invisible que lui pour les autres. L’actriceAnna Prchniakincarne ainsi une trs belle et triste figure entre la tragdie et, l encore, l’incarnation du motif religieux.

Les interprtationscompensent une narration parfois confuse

Perdu dans des territoires o il ne laisse aucune trace, Oleg reviendra au lac gel o on l’a dcouvert, son innocence altre. Il est le mme fantme que ceux que l’union europenne, dans sa poursuite d’un idal libral autoritaire, fabrique par milliers.

C’est surtout dans les portraits, une jeunesse trs moderne dont les aspirations et les vices sont par ailleurs intemporels, que le film se distingue. S’il russit, dans ses personnages, la tempte d’une identit faite de racines coupes, de religiosit, et de qute d’une appartenance, Juris Kurietsis russit moins bien, sur la longueur et dans sa narration, faire cohabiter en harmonie ces dimensions, et en tirer une critique parfaitement cohrente.

C’est ce dfaut qui minimise la force d’Oleg, un film nanmoins trs beau et urgent, porteur d’un message ncessaire sur une communaut europenne en perdition.

Oleg, de Juris Kursietis. Prsent Cannes 2019. Au cinma en octobre 2019. Ci-dessus la bande-annonce.Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.

Prsent la Quinzaine des Ralisateurs du Festival de Cannes 2019, Oleg de Juris Kursietis se distingue de plusieurs manires. On pourrait croire que son sujet, l’identit europenne et sa composante migratoire, est vu et revu. C’est en effet une thmatique rcurrente du quotidien, dans son exprience politique, sociale et culturelle. Dans le cinma europen, l’immigration principalement traite est celle du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Dans Oleg, le ralisateur letton a choisi de montrer une autre ralit, celle d’une immigration issue des pays baltes, en l’occurence depuis la Lettonie. Qui est Oleg ? C’est la problmatique du film. Savoir…

Note de la rdaction

Brillant par moments, Oleg de Juris Kursietis est un trs beau film sur l’identit, celle d’un homme, et celle de l’Europe. Les interprtations sont toutes magnifiques, on regrette seulement une trop grande gnrosit du film, qui a voulu composer avec trois genres de cinma, sans y parvenir entirement.

Note spectateur : Sois le premier !