Marco Bellocchio est un des derniers grands matres italiens. Il le prouva ds son premier long-mtrage, Les Poings dans les poches, quil ralisa tout juste vingt-six ans, et tmoignait dj dun dsir de rvolte. Prs de cinquante ans aprs, il revenait avec Fais de beaux rves (2016), un sublime drame familial autour dune relation mre-fils, et semblait stre apais. Pourtant, trois ans aprs, le revoil avec son vingt-sixime long-mtrage, Le Tratre, prsent en comptition officielle au72e festival de Cannes, sur la vie du mafieux Tommaso Buscetta qui collabora avec la justice contre la Cosa nostra.

Un repenti en exemple

Le Tratre, un pur film de mafia ? Pas vraiment. Le film sapparenterait davantage au film de procs tant cette partie, durant laquelle Tommaso Buscetta se confronta aux diffrentes ttes quil a fait tomber, est centrale dans le film de Bellocchio. Dailleurs, le ralisateur assume pleinement de ne pas raconter la vie de Tommaso. Sa jeunesse et son entre dans la Cosa nostra tant simplement voqus au dtour de conversations. Assez vite le dcor est plant. Alors que deux familles mafieuses sallient, Tommaso, qui sent bien que la paix ne tiendra pas longtemps, dcide de partir avec sa troisime femme au Brsil, laissant en Italie ses deux ans. Mais Salvatore Riina (un des chefs) passe laction et dcidedliminer la famille rivale. Sans piti, on apprendra que lhomme ordonne que tous soient extermins, mme les enfants, les petits-enfants et toute succession possible.

Cest finalement l llment dclencheur pour Tommaso. Outre son arrestation muscle, il justifiera sa collaboration avec le juge Falcone par la perte des valeurs de la Cosa nostra. Bellocchio, en apportant un regard presque nostalgique sur la mafia davant (du point de vu de Tommaso videmment), largit son propos. Les valeurs ont toujours t importantes dans son cinma, et notamment les valeurs familiales. La famille, que ce soit celle de la Cosa nostra, de Tommaso ou des victimes, reviendra sans cesse au fil du film. Un lment cl permettant douvrir lmotion, comme lors de la rvlation, en plein procs, sur la mort de proches de Tommaso.

Malheureusement, Bellocchio ne parvient pas convaincre amplement. tonnamment, le ralisateur se laisse souvent et simplement port par cette histoire folle qui a vu larrestation dune multitude de membres de la mafia en Italie, au pril de vies importantes. Son utilisation dimages darchives donne certes un souffle percutant au Tratre, mais reste insuffisant en comparaison du reste de sa mise en scne, dune sobrit soporifique. Lexemple le plus flagrant reste la longue partie du procs qui stale sur plusieurs annes. Le temps passe et on revient toujours la mme construction visuelle avec Tommaso au centre qui slance dans une joute verbale face ses opposants.

Si les acteurs, et particulirement Pierfrancesco Favino (Tommaso Buscetta), ont ainsi la possibilit de se faire plaisir (et nous avec), ils ne suffisent pas combler le manque de rythme, au sein dun rcit linaire, et de propositions de mise en scne. Mme la clbre et folle mort du juge Falcone, assassin par lexplosion dun pont entier, savre expdie. Bellocchio privilgiant une forme de classicisme tonnante, pas la hauteur dun rcit pourtant fascinant et dun homme aussi emblmatique que complexe et paradoxal.

Le Tratre deMarco Bellocchio, prsent Cannes 2019, en salle le 6 novembre 2019.Retrouvez ici toutes nos bandes-annonces.